Interview avec le programmateur du Festival d’Été de Québec

Interview avec le programmateur du Festival d’Été de Québec

On a profité de notre passage au Festival d’Été de Québec pour rencontrer son programmateur qui nous expose les contraintes de son job et nous livre la liste des artistes qu'il voudrait un jour recevoir. Interview avec Louis Bellavance, un homme incroyablement serein pour quelqu'un qui fait venir chaque année plus de 200 artistes à Québec City !
Le FEQ est quasiment inconnu en France par rapport aux autres festivals du continent nord-américain. Où vous placez-vous ?
On se compare avec les plus grands. On investit dans la programmation à un niveau comparable à celui d'événements comme Coachella, Bonnaroo, Osheaga et le festival de Jazz de Montréal. Notre formule, dans sa spécificité d’être grand public et d'être répartie sur 11 jours, est plutôt unique. Le festival de Jazz nous ressemble un peu, sa prog est de plus en plus éclectique mais ils est sur un secteur moins commercial que le FEQ. Nous, on peut aller du très mainstream à l’underground.
Quels sont les principales contraintes de ce genre de gros événement ?
Budgétaires, principalement. J’ai une enveloppe fixe sur laquelle je n’ai pas de rallonge si besoin. On commence notre année avec ce chiffre que l’on va répartir par scène. Finalement cette enveloppe n’est pas si contraignante que ça, car nous avons un très bon budget, qui est de 8 millions de dollars (canadiens). A ma connaissance, c’est le plus gros budget de programmation au Canada. Jazz à Montréal fait par exemple beaucoup plus de concerts, mais bénéficie d’une enveloppe moindre. Nous, nous dépensons pas mal d’argent pour faire venir des grosses vedettes. Un Stevie Wonder, ça coûte très cher évidemment !
L’autre contrainte c’est de réaliser notre grille de concerts. En général, on la constitue par rapport aux observations faites sur les éditions passées. En 2013, on a voulu faire un peu plus de rock, revenir à de l’électronique. Pour répondre à LMFAO qui avait bien marché en 2012, cette année on a fait Bruno Mars. On pense vraiment en genres et on le fait sur chacune des scènes. Sur le site du Parc de la Francophonie, on avait eu beaucoup de succès avec les artistes francophones, du coup, on continue dans cette voie. Cette année on va essayer l’électronique. On avait bien sûr déjà programmé des artistes électro, mais jamais proposé de soirées thématiques. Là, pour nous c‘était vraiment une expérience de proposer des plateaux exclusivement électroniques.
Et la vraie contrainte finalement, c’est que toutes ces scènes thématiques ne doivent pas se concurrencer. On essaie de guider nos festivaliers dans leurs décisions en leur proposant des plateaux par styles musicaux. Si on fait du hip hop sur la Scène Bell, il faut que le même soir on propose des scènes folk, punk rock et reggae en face. Normalement les choix sont un peu plus faciles, mais les gros mélomanes seront toujours déchirés de ne pas pouvoir tout voir.
Comment tu fais pour trouver autant d’artistes ?
Je suis pas mal sur la route. Je vais en France au moins deux fois par an, à Los Angeles une fois ou deux, New York trois-quatre fois. Il y a beaucoup de business à faire. J’assiste à des festivals de musiques du monde, à SXSW au Texas. Avec Arnaud Cordier (autre programmateur du festival), on se répartit les événements, lui est allée au Printemps de Bourges, moi aux Transmusicales de Rennes.
Quels sont les genres musicaux qui marchent bien au FEQ ?
Québec est une ville de rock et de gros rock, ce n’est pas un cliché, c’est un fait :RammsteinMetallicaBon Jovi. Québec a aussi un historique avec le rock progressif. Pendant des années, des groupes comme MarillionYes ou Rush sont venus ici. Si on pouvait avoir Genesis un jour, ce serait génial.
Quels sont les artistes réclamés par le public ?
Il y a AC/DC. Ils ne sont jamais venus à Québec en fait. Ils ont fait une date à Montréal au Stade Olympique. Je pense que ce serait le plus grand groupe qu’on pourrait faire ici. Je ne suis même pas sûr de pouvoir les inviter, on atteindrait là un certain niveau en terme de budget. Roger Waters en 2012 et Paul McCartney en 2013, on les a fait hors festival. On laisse passer quelques jours après la fin du FEQ, on garde l’installation et on retourne en billetterie classique. Si on intègre ce genre d’artistes dans la programmation du festival en lui-même, ça amputerait 30% du budget de production et j’aurais bien du mal à respecter l’équilibre entre les différentes scènes. En théorie, on peut le faire et on l’a même déjà fait il y a deux ans avec Metallica et Elton John qui faisaient partie du festival. Finalement on a un peu regretté, ça allait à l’encontre de l’esprit de la manifestation. Ce qui me gêne, c'est que les gens n’aient parlé que du concert de Metallica, je me suis alors demandé pourquoi on s’était embêté à monter 10 soirées de plus.
En fait, je veux que les spectateurs aient une impression générale du festival et qu’ils ne se souviennent pas uniquement d’un seul concert. Cette année la programmation était assez équilibrée, il y avait plusieurs moments forts et j’ai envie de donner aux festivaliers l’impression qu’ils se sont pris de la musique, plein la gueule, pendant 11 onze jours.  
En tant que programmateur, tu as forcément des artistes que tu voudrais faire venir à tout prix ?
Oui, évidemment. En fait il y a deux volets à cette question en fait. On me demande souvent ma « wishlist émotive » mais malheureusement, ça ne marche pas comme ça. Je suis très fan d’Emmylou Harris, qui est pour moi la plus grande voix du folk et de l’histoire de la musique. Avec le bon timing on pourrait faire une soirée un peu « country » sur la scène du Parc de la Francophonie. Je suis aussi un grand fan deDylan, mais je ne lui proposerais pas de venir jouer au FEQ parce que je n’ai pas d’espaces qui lui conviennent. Il y a la grande scène des Plaines d'Abraham mais le public risquerait d’être déçu et je ne peux pas penser qu’à moi et à mes artistes coups de cœur. Si je disposais d’une belle salle intérieure, je le ferais tout de suite !! Sinon, oui, il y a des grands artistes qui ne sont pas encore venus et qui sont dans notre tableau de chasse, ils vont venir à un moment donné, il faut juste patienter.
As-tu connu des contretemps cette année ?
On a eu une annulation le jour où on a annoncé la programmation. On a comblé ce vide avec les Guns n’ Roses qui ont confirmé très tard leur venue. Ils n’apparaissent même pas sur les programmes qu’on avait fait imprimer. Tout le monde nous a dit qu’on avait fait un choix audacieux.
Quels sont les moments mémorables du FEQ depuis que tu y travailles ?
L’an dernier Skrillex a été stupéfiant. On savait en l’invitant que ça allait être impressionnant mais on ne pensait pas voir le public délirer à ce point. Et c’était un trait de personnalité de mon public que j'ai découvert, c'était fou.
Le concert de Jean Leloup l’année passée. Les spectateurs ne l’attendaient pas car il avait un peu mauvaise réputation au Québec, un peu comme celle que traîne les Guns n’ Roses cette année. Les gens étaient assez sceptiques, Leloup est finalement arrivé sur scène et a donné son concert, le meilleur que j’ai vu de lui. Et pour cette année, je peux citer The Joy Formidable par exemple.
Es-tu confronté à des critiques ?
Constamment. On est tellement diversifié que tous les maniaques d’un genre ou d'un autre sont insatisfaits. Les amateurs de rock n’en ont pas assez. On a eu une soirée avec du métal très très lourd représenté par Voivod et Avantasia au Parc Franco, mais c’est tout. Mais ce n’est pas assez pour les fans qui veulent du métal sur les Plaines d’Abraham, quelque chose comme Black Sabbath et de beaucoup plus dur que les Black Keys. L’an dernier je n’avais pas d’artistes hip-hop importants, ça y est cette année, on en a programmés. Je n’ai pas de country, il y a pourtant une demande et j’aimerais bien en faire à un moment donné, mais il faut que je trouve le format adéquat. On est critiqué assez sévèrement, j’essaie de ne pas aller sur les blogs mais quand j’y vais je vois que certains internautes réclament ma démission. C’est intense !
Je trouve ces réactions finalement tout à fait normales pour ce genre d’événement. Il faut comprendre que la ville de Québec n’est pas sur le circuit majeur des concerts nord-américains. On a 5 lives en stade par année. La plupart des artistes viennent soit au festival, soit ils ne viennent pas du tout à Québec. Cette manifestation est donc très importante pour la ville et pour la communauté qui se l’approprie vraiment. Si on a de bons résultats, c’est en partie parce que les gens sont privés de concerts le reste de l’année.
On fait aussi des déçus parmi les fans d’indie rock, mais si on regarde l'ensemble de la programmation on a de l’indie rock et en quantité plus que convenable pour garantir l’équilibre du FEQ. C’est sûr qu’un vrai fan se reconnaîtra plus dans la programmation d’Osheaga (à Montréal début août) mais le FEQ est un festival différent, il faut que ma mère ou ma nièce puisse y aller !!
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